Mon frère en chemise sur internet !
Non, non, ce n'est pas la dernière insulte à la mode. A en écouter les d'jeuns lyonnais on en est encore au bon vieux "nick ta mère", comme si "maman", comme surnom ne suffisait plus. On reconnaît bien là la fougue de la jeunesse, pleine de verve et prête à se rebeller contre tout ce qui bouge.
C'est marrant, parce que j'ai l'impression finalement que cette insulte fait son temps. Elle existe depuis un petit moment déjà mais ne paraît pas démodée pour autant. Sûrement par facilité, on se fatigue à répéter ce qu'on entend plutôt que de rechercher autre chose.
Tiens, quand j'étais en sixième, nous nous retrouvions avec mon meilleur ami au CDI du collège pour y consulter le dictionnaire des injures.
Nous avions listé de nombreuses sortes d'injures depuis le "dégonflé", "sombre idiot", "lèche-cul" aux phrases plus alambiquées telles : "ce que tu as dans la main, ce n'est plus un poil, c'est une perruque" ou "tu me la copieras cent fois... quand tu auras appris à écrire". Nous avions bien évidemment les injures grossières virant le plus souvent au scatologique comme "c'est un emmerdeur de première" et celles plus softs telles "c'est un emmielleur de première".
J'avais noté qu'il y avait les injures pour la conversation, de celles qui ponctuent une affirmation : "vaurien", "fripouille", "pourriture", "tête de lard", "tapette", évidemment, ou "enculé", voire plus rare mais assez logique si l'on considère l'importance des organes génitaux et du vocabulaire sexuel dans ces injures, "éburné".
A l'inverse se trouvaient celles plus classes à mes yeux qui servaient de formule finale : "Je ne te salue pas, je te crache à la gueule", "Et sache, gros dégueulasse, que je t'emmerde à pied, à cheval et en voiture", "Recevez, sinistre con, à défaut de mon pied au cul, l'expression de mon parfait dégoût" ou encore celle-ci qui me faisait rire : "Inutile d'agiter ta quéquette, vieux kroumir, si je te dis "mon cul" ce n'est pas pour te l'offrir". [remarquez que je n'ai toujours aucune idée de ce que peut être un kroumir]
Ensuite venait dans ce nouveau dictionnaire des injures le jeu très drôle des dialogues : - Vous n'êtes qu'un chien gâleux. - Mieux vaut être gâleux que pourri : j'aime mieux avoir ma peau que tes tripes ! et une petite liste des phrases à sortir au bon moment : "Ta bouche, bébé, t'auras une frite" ; "Mets-y une sourdine, c'est pas l'heure du biberon" ; "Monsieur recours à la force de son haleine, c'est déloyal" ; "Ne me fais pas rire, j'ai des gerçures" ; "tais-toi ou je dis tout" puis l'inévitable abécédaire où l'on apprend que le qualificatif fait tout : "freluquet frelaté", "rogaton poitrinaire", "simili martien à la graisse de cabestan", "cervelle de mouche arriérée", "avorton avarié"...
Je crois en fait que ce dictionnaire a marqué mon entrée dans la littérature. J'y ai découvert le plaisir de la langue, non pas le côté agressif du juron mais bien plutôt celui, malin, du jeu de mots qui laisse l'autre pantois et ridicule, et puis cet autre plaisir, plus discret mais tout aussi efficace de chercher à comprendre.
Pourquoi tel mot est-il une injure ? Et d'abord, que signifie-t-il ? Pourquoi le "con" féminin est-il devenu synonyme de bêtise méchante et crasse ? Pourquoi parler de "foutre" dans "j'en n'ai rien à foutre" ? Il est très amusant de rechercher le comment, d'autant que la langue française est vraiment riche et les possibilités de trouver de nouvelles injures en sont démultipliées... Dès lors, je ne comprends pas qu'on ne recherche pas d'injures plus sophistiquées ou plus drôles un peu à l'exemple de ce qui se fait ailleurs, ou retranscrit avec humour dans la bande dessinée : il n'est qu'à voir les personnages de Prunelle de Franklin ou du célébrissime Capitaine Haddock de Hergé dont les envolées n'apparaissent même pas dans la liste officielle des injures réprimandées (à Roland Garros).
C'est bien beau tout cela mais quel rapport avec mon frère ? Il s'avère tout simplement que nous venons de passer la soirée à discuter "blogs". Ce dernier a pleins d'amis qui ont ouvert depuis plus ou moins longtemps des blogs à peu près tous sur le même principe d'une photo centrale par post accompagnée d'un léger commentaire. Et sur l'un deux, on voit mon frère en chemise en train de jouer aux cartes... D'où mon incipit.
Je t'embrasse Benny. Je t'aime très fort. Et les autres aussi.